Tout le monde en
convient : les dysfonctionnements de notre société sont
nombreux, profonds, omniprésents. Ils résultent davantage de
l'échec de notre système politique que des crises mondiales parce
que nos institutions ne sont simplement plus en phase avec notre
réalité sociale. Les avancées culturelles et technologiques de ces
dernières décennies ont mis en lumière l'obsolescence, l'iniquité, l'inefficacité de notre mode de gouvernement et du fonctionnement
de l'État.
En premier lieu, toute la
dynamique politique française repose sur l'élection d'un homme,
réputé providentiel : le président de la République, sorte
de monarque constitutionnel, à la fois centre de gravité et clé de
voûte de notre système de gouvernement. Il peut pourtant être
adoubé par une minorité du corps électoral ; il peut aussi
être élu sur un programme, puis en appliquer un autre sans devoir
faire valider cette volte-face par les électeurs ; il peut
choisir comme chef de gouvernement n'importe quelle personne, même
désavouée par l'électorat ; il appartient lui-même à la
classe sociale des représentants-non-représentatifs. Le passage du
septennat au quinquennat a d'ailleurs accentué la pression de
l'élection présidentielle sur notre calendrier politique, notamment
parlementaire.
Ensuite, le Parlement,
censé représenter l'ensemble des citoyens, n'est plus composé que
des membres d'une seule classe sociale : la caste des citoyens
aisés, fortunés, voire opulents. La représentation nationale
n'est pas représentative du pays réel. Elle n'est donc pas apte à
le comprendre : comment pourrait-elle résoudre ses
difficultés ? Comment demander à ceux qui profitent des
inégalités de les réduire ?
L'appareil d'État est
ainsi dirigé par des intérêts étrangers aux aspirations profondes
de la population : éducation de haut niveau, système de santé
accessible à tous, protection des citoyens, sécurité sociale,
contrôle de la qualité de l'environnement (air, eau,
nourriture...etc), imposition progressive et équitable, justice
rapide et impartiale, intégrité des dirigeants.
À tout cela, héritage
des deux siècles postérieurs aux Lumières, s'ajoute aujourd'hui
une volonté affirmée des citoyens de participer aux décisions
politiques et au contrôle des budgets publics. La technologie et les
moyens d'information et de communication le permettent : des
expériences de démocratie directe, de budgets participatifs, de
conseils citoyens sont engagées dans de nombreuses collectivités,
dont, par exemple, la ville de Paris et ses arrondissements. D'autres pays les utilisent.
Le seul blocage à une
mise en adéquation de notre système politique avec les évolutions
rapides de nos sociétés développées tient à la volonté des
dirigeants – économiques et politiques - de conserver jalousement leurs
pouvoirs excessifs. Il est vrai qu'il n'existe aucun exemple de
privilégié ayant un jour, spontanément, par souci éthique, renoncé à ses
privilèges : la nuit du 4 août n'a pu avoir lieu que sous
l'inquiétante pression des révolutionnaires. Mais il est tout aussi
vrai qu'une révolution ne permet pas nécessairement d'obtenir ces
avancées décisives pour l'avenir des peuples, du peuple français
en tout cas : la Révolution de 1789 n'a pas, comme on l'admet
naïvement, donné naissance à une démocratie mais à diverses
oligarchies, royalistes, impériales ou républicaines.
Nous nous trouvons
aujourd'hui dans un fonctionnement de l'État qui ressemble chaque
jour davantage à l'Ancien régime : monarque et ses obligés, cour
nobiliaire, aristocratie, gardes prétoriennes, petits marquis et
barons, cercles de candidats rarement roturiers. La copie est
conforme !
Et loin derrière, un
peuple qui invente, découvre, excelle et se désole. Son rôle a été
réduit à celui de machine à produire beaucoup et à consommer peu,
quand l'essentiel des richesses et des pouvoirs est confisqué par
une petite caste parasite qui lui parle à l'impératif.
L'arme dont dispose le
peuple, pour répondre à la violence confiscatoire de l'État, est
double : économique (arrêt de la production, réduction de la
consommation, grèves) et politique (désobéissance civile,
manifestations, refus de vote). La seule que nous n'avons pas
utilisée de manière organisée est le refus, la grève du vote :
une abstention massive et concertée.
Il est peut-être temps de montrer
aux dirigeants la puissance du peuple autrement que par l'explosion
de la violence : par la force du refus.
Un boycott citoyen de
l'élection présidentielle aura pour premier effet la sidération du
personnel politique, habitué à venir caresser le pelage du peuple
quelques semaines avant le scrutin pour s'assurer de la qualité de
la laine.
Un boycott de la
présidentielle aura aussi pour effet de passer directement aux
élections législatives, qui porteront ainsi un nouveau message :
« Les grenouilles ne veulent plus d'un roi ! ». Il
rétablira l'ordre calendaire normal de la république : le
peuple ne gouverne pas à travers son président mais par ses
représentants, libres de leur vote et non contraints par la volonté
Élyséenne.
Un boycott enverra un
message fort aux partenaires européens et aux oligarques de
Bruxelles : « les Français sont pro-européens mais
souhaitent rester souverains. » Aux peuples de concocter entre
eux de nouvelles architectures politiques pour parvenir à concilier
ces deux termes. Peut-être une fédération d'États souverains,
peut-être autre chose. Les peuples ne manquent ni de volonté, ni de courage, ni
d'imagination, contrairement aux «happy few».
De toute façon, qui
croit sérieusement aujourd'hui, que l'élection d'un président, un
homme comme les autres, quel qu'il soit, pourra répondre à
l'ensemble des doléances, des frustrations, des volontés contradictoires, des
exigences qui sourdent du cœur des peuples en de début de siècle ?
Personne, à part sans
doute les candidats à cette élection inutile. Les naïfs. Les
archaïques !
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