jeudi 14 avril 2016

Les "nuits debout", à quoi ça sert ?



Cessons de nous voiler la face : nous voici bel et bien de retour sous l'ancien régime !

La monarchie et sa cour ont été restaurées sous l'habile oxymore "démocratie représentative", les Compagnies de Sécurité n'ont plus de Républicaines que le nom, quelques âmes bien (et loin) nées décident de tout à notre place, plus aucun aristocrate digne de ce nom n'acquitte l'impôt : l'ensemble des gabelles, dîmes et octrois est puisée directement dans la poche du tiers-état, la nôtre.
La noblesse ne cache même plus son dédain pour la populace. Un affairiste mondain peut déclarer "je ne paie pas d’impôts, c’est un privilège et c’est très bien comme ça." sans plus encourir qu'un haussement d'épaules résigné : la nuit du 4 août s'est dissoute dans les Hanounâneries mondialisées, et la démocratie avec.
Quand au clergé, son rôle de complice des puissants est désormais dévolu à une noblesse de robe d'un genre nouveau : les médiatiques. On sait qu'un cuisinier, une chanteuse, un avocat, une architecte peuvent passer d'un plateau à un site web, d'une chaîne de télé à une station de radio,  d'une émission de divertissement à un rendez-vous politique, pour donner leur "analyse" sur la sociologie du moment, son de cloche fêlée qui prendra aussitôt valeur d'oracle. On sait aussi que cette "carte médiatique" se transmet aux descendants de manière dynastique : un fils d'acteur deviendra évidemment acteur, un fils de chanteur prendra le même pseudonyme que son père histoire d'y arriver plus vite, le talent d'un écrivain se retrouvera, étrangement, dans la production littéraire de sa progéniture.  
"Là où la possession d’un « statut médiatique » a pris une importance infiniment plus grande que la valeur de ce que l’on a été capable de faire réellement, il est normal que ce statut soit aisément transférable, et confère le droit de briller, de la même façon, n’importe où ailleurs." (Guy Debord)

En tout cas, personne ne prendra le risque d'y trouver à redire.

Nous sommes donc bien revenus à une oligarchie auto-réplicative, un entre-soi cadenassé par le même désir de privilèges, par la même terreur de l'éventuel réveil du peuple, par les mêmes distributions de miettes du festin et de promesses jamais tenues. Une société de classes, de castes qui ne se mélangent pas, qui ne vivent pas dans le même temps, dans les mêmes lieux, ni sous les mêmes lois.
Les aristocrates, les oligarques dominants, très riches, très peu nombreux, confisquent tout ce qui leur rend la vie agréable au détriment de la multitude : les espaces (plages, paysages, surfaces habitables...), la monnaie (plus-values, impôts, stock-options, convertibilité, évasions fiscales...), la connaissance (enseignement privé, études secrètes, rapports confidentiels...), le travail (chômage entretenu, organisation économique parallèle, Darknet...), jusqu'à l'eau potable et, prochainement, l'air qu'on ne respire déjà plus sans danger. 

Le système de domination est redevenu totalitaire au profit d'une minorité endogamique. Les peuples sont simples spectateurs d'un dramaturgie insipide qui les conduit vers l'abîme.
Car ces castes savent qu'elles vont mourir, et probablement dans un déferlement de violence insoupçonné : le peuple trahi ne fera pas de prisonniers.
Mais comme elles croient, dans leur immense narcissisme, qu'elles sont "l'élite de la Nation", que sans elles rien n'est possible ni ne fonctionne, que le peuple est un animal stupide – alors qu'elles tentent par tous les moyens de le maintenir sous le seuil de la raison – et qu'elles contrôlent tout au mieux de l'intérêt de tous, elles ignorent que ce moment approche : celui de l'insurrection qui (re)vient.


 

Cette justice, qu'ils appellent "jalousie", est contenue en germe dans les Nuits Debout. Elles sont les prémisses, les balbutiements étonnés de cette liberté retrouvée qui balayera les inutiles, les parasites, les riches et leur système de confiscation de toutes les richesses. Quand les cercles de la cour constateront eux aussi – médiatiques, policiers, amuseurs en tout genre - qu'ils ont été bernés, floués, abreuvés de mensonges, alors il n'y aura pas de plage assez lointaine, de building assez haut, de bunker assez profond pour protéger les affameurs et les tortionnaires de ce peuple martyrisé qui demande, simplement, un monde équitable, la possibilité de vivre sans angoisse ; non pas dans l'opulence mais avec un revenu suffisant ; non pas sous la domination mais dans la coopération ; non pas par la concurrence mais grâce à l'émulation ; non pas de la rareté mais de la profusion.

C'est bien le vieux rêve d'une société sans classes qui se réveille dans les Nuits Debout. C'est une aspiration inscrite au cœur même des gènes de l'humanité : elle ne disparaîtra qu'avec elle.