vendredi 26 juin 2015

Rien qu'un système de domination


N'est-il pas étrange que de tous les animaux du règne, l'humain soit le seul à ne point s'accorder sur son organisation sociale ? De la panthère à la fourmi, les individus suivent l'expression de leur gènes, et s'intègrent à la loi commune : je subsiste, je reproduis mon espèce, je laisse la place.

C'est, dira-t-on, que l'animal est gouverné par sa nature, et l'humain par sa culture. On ne regimbe pas entre fourmis : on se soumet ou on se fait démettre. Entre humains, la multiplicité des climats, des paysages, des modes de vie, viennent interférer avec la Loi naturelle : on ne s'organisera pas de la même façon selon que la subsistance sera rare ou abondante ; selon que les possibilités d'accouplement seront multiples ou exceptionnelles, selon que la conservation d'un aîné sera avantageuse ou parasitaire. Les humains répondent eux aussi à leur environnement.

Quand l'environnement se standardise, soudain, tout change : l'humain peut décider, choisir comment il se gouverne. Et comme il n'est écrit nulle part comment il doit vivre, s'organiser, optimiser son existence, dans le doute, s'instaure alors le retour à la loi naturelle : l'espèce rejoint son phylum et s'engage dans la lutte pour la "domination". Qu'est-ce que "dominer"? C'est garantir sa subsistance par l'abondance, protéger sa descendance au-delà d'une génération, rester nécessaire le plus longtemps possible, y compris après sa mort... 
Dominer, c'est avoir plus. Plus de biens, plus de droits, plus de temps.

Notons que rien n'oblige un groupe, une société, une civilisation, à retourner ainsi à l'état de nature où un mâle dominant mangera avant les autres, couvrira toutes les femelles, laissera son exemple à la postérité. Il est même possible d'envisager une société de membres égaux, solidaires, collaboratifs, formant un véritable "tissu" social. Mais l'Animal en nous n'est pas mort et nous ne sommes pas encore prêts à nous délester de son expérience multiséculaire. Alors nous nous soumettons aux règles de la domination.

Ici, ce sera la loi du plus fort ; là, la loi du plus vertueux, ailleurs la loi du plus beau ou  du plus riche. 
On ne trouve encore nulle part la loi du plus serviable, du plus empathique, du plus pédagogue ou du plus inventif... Parce que nous ne sommes pas encore sevrés des vieux systèmes de domination, qu'ils soient militaires, religieux ou économiques. Nous n'avons pas encore de "morale de la liberté".

L'alliance récente de la domination politique (ceux qui veulent le pouvoir sur les autres) et de la domination économique (ceux qui veulent se distinguer des autres) tente même de confisquer l'intégralité des richesses, des espaces, des libertés et des savoirs pour asservir définitivement celles et ceux qui lui contesteraient le droit de décider pour tous.

Parce que, tout comme les religions, l'économie monétaire ou la politique n'ont aucune justification intrinsèque à dominer l'ensemble des humains ! C'est la simple répétition, dès l'apprentissage du monde pendant l'enfance, qui persuade les individus de s'y soumettre, tout comme auparavant l'idée de "Dieu" soutenait la domination par la naissance.
"Soyez résolus de ne plus servir, vous voilà libre" disait avec raison La Boétie.

L'économie monétaire même, dont on nous rabâche qu'elle est notre unique raison d'exister (alors que "la seule raison d'être d'un être, c'est d'être " selon le biologiste Henri Laborit) n'est au plus qu'une scène de théâtre destinée à fasciner les spectateurs : des gens qui veulent dominer, se distinguer parmi la multitude, on pris possession des modes de communication et nous assomment de mensonges afin de faire perdurer leurs privilèges. Comme les seigneurs féodaux, comme les membres du clergé, comme les "représentants de la nation", ils nous servent encore et toujours le même couplet :
"Faites-moi confiance, obéissez-moi, je m'occupe au mieux de votre intérêt !"

Mais l'espèce humaine a toujours été une espèce sauvage, elle ne sera pas domestiquée. Et depuis quand quelqu'un saurait-il mieux que moi quel est mon intérêt, et comment le défendre ?

dimanche 7 juin 2015

Qui a besoin de "dirigeants" ?



Si on inverse la citation majeure de Clausewitz, on obtient une phrase qu'Henri Laborit (Vendéen !) aurait probablement pu signer : "La politique, c'est la continuation de la guerre par d'autres moyens".
Voilà de quoi interroger sur la nécessité pour une nation d'élire des dirigeants politiques...
Leur incapacité à conclure des diagnostics pertinents, leur impossibilité à imaginer des réformes efficaces – et consensuelles puisqu'efficaces – leur propension a tenir des discours creux et emphatiques, à se faire élire sur des programmes qu'ils ne mettent pas en œuvre, à voter des lois inutiles ou inapplicables, à truster les postes de décision, à décider de comment nous devons vivre sans tenir compte de notre avis, à profiter largement des richesses que nous produisons, à ne jamais résoudre durablement quel que problème que ce soit... Tout cela n'en ferait-il pas plutôt de simples parasites de notre organisation sociale ?
La question mérite réflexion : je n'ai jamais entendu quiconque dire que tel politique avait changé son existence pour le mieux. L'exact contraire est beaucoup plus fréquent. On objectera quelques illustres exemples, rapidement réfutés : Charles de Gaulle était un militaire ; dès qu'il s'est mué en homme politique, il a pris des décisions catastrophiques, et ruineuses. Il a de plus réintroduit la monarchie dans la République ! Mitterrand a pu faire croire pendant deux ans et demi que le peuple commandait à son destin – si on excepte l'abolition de la peine de mort – avant de remettre les clefs de l'avenir aux seuls banques et chefs d'entreprises.
Y a-t-il un seul dirigeant politique qui ait réussi à "changer" quoique ce soit dans notre vie que nous n'aurions pas pu changer nous-même ?
En réalité, ceux qui se présentent comme l'avant-garde éclairée, les élites faites pour conduire le peuple, sont pour la plus grande part suivistes de l'évolution des mœurs, spectateurs du mouvement social, analystes des courbes statistiques, qu'ils traduisent par des tendances et des programmes dans le seul but d'assouvir leur propre soif de domination.
Cela peut sembler incroyable, mais il n'existe aucune autre justification à vouloir entrer dans la compétition politique que l'ambition personnelle.
Bien sûr, dit comme cela, ça peut paraître un peu sec, voire violent : on n'annonce pas tout de go à une personne qu'on veut séduire "mes hormones me poussent à vouloir procréer" sans prendre un risque certain. D'où la poésie et les discours politiques... Ceux-ci disent généralement la même chose : "je veux vous faire du bien !" 
Mais a-t-on vraiment besoin de signer un chèque en blanc à un inconnu pour espérer vivre bien ?
"Je n'ai jamais cru que rien dans le monde avait été fait dans l'intention précise de me faire plaisir. Les caves, pour dire le vrai, raisonnent toujours à l'inverse*". 
Serions-nous donc des caves, nous qui croyons que remettre nos libertés, nos destins et nos vies dans les mains de riches diplômés nous permettra d'accéder à un quelconque salut ?
Nous sommes désormais parvenus à des niveaux de connaissances, de communication, d'échanges tels que nous pouvons décider collectivement, sans avoir besoin de déléguer à d'autres qu'à notre appareil administratif, nos propres décisions. 
Qui commandera cet appareil ?
Nous-mêmes directement par le vote, éclairés par des débats organisés régulièrement, localement, par des conseils élus pour l'occasion, ou pas forcément élus : on tirait bien 12 jurés au sort pour savoir si un accusé devait vivre ou mourir, en cour d'assises ! L'Athènes de Périclès, à laquelle nous devons tant, fonctionnait par tirage au sort.
Il est grand temps de réformer notre fonctionnement collectif vers plus de transparence, d'efficacité et de responsabilité. Votons non plus pour des "représentants", qui nous représentent rarement, souvent nous mentent, parfois nous volent, mais pour des lois, des règlements et des normes : décidons de notre destinée.
Et pour représenter l'ensemble des citoyens, l'État, dans les débats internationaux ou régionaux, nous  délèguerons, selon les sujets abordés, tel ou telle de nos hommes ou femmes révérés, jugés compétents et désignés par la population concernée.
La Belgique, état moderne, a pu fonctionner entre juin 2010 et décembre 2011 pendant 541 jours sans autre forme de gouvernement que son appareil administratif ! Ironiquement, c'est justement à l'Université Nouvelle de Bruxelles que fut prononcée, en octobre 1895, époque où les socialistes comptaient en leurs rangs plus de penseurs que d'ambitieux, cette phrase célèbre : "l'anarchie est la plus haute expression de l'ordre", prononcée par un simple professeur de géographie, Élisée Reclus.
Puisse-t-il être bientôt possible de lui donner raison !



* "Cette mauvaise réputation..."  Guy Debord  (Gallimard)