dimanche 24 mai 2015

Renverser la pyramide


Les partis sont en crise. Les dirigeants croient régler ces crises par le vote des adhérents. Ici un congrès d'orientation, là un changement de nom, bientôt des primaires pour tous... ou pour personne. 
Et ça calme, au moins pour un temps, les démangeaisons. Mais quand les crises reviennent comme les saisons et les moustiques, il faut s'interroger plus en profondeur : les dysfonctionnements ne viendraient-ils pas d'une inadéquation entre le fonctionnement interne et les aspirations extérieures ? Les évolutions de la société ont-elles été suffisamment prises en compte dans le discours et l'organisation du parti ? Donc,  question : à quoi sert un parti politique ?

Fondamentalement, un parti doit protéger les intérêts de son électorat en lui proposant un modèle de société dans lequel il puisse se reconnaitre. Il en est d'ailleurs l'émanation directe : le parti socialiste se compose de militants aspirant à une société de justice sociale, opposés à la seule loi du "libre marché" que défend l'électorat de droite – qui lui aussi défend ses intérêts.

Mais pour rester en accord à la fois avec son électorat et avec ses objectifs, un parti (disons le PS, pour faire court) doit d'abord s'appliquer ce qu'il prétend imposer aux autres : il doit être lui-même la vitrine de la société qu'il propose. Les partis de droite, pyramidaux, libéraux, martiaux, ne font pas autre chose : ils veulent une société qui fonctionne comme une entreprise et des entreprises qui fonctionnent comme des moteurs ; ils ont donc intégré ces modèles à leur propre organisation : pyramidale.

Le PS ne peut évidemment reprendre ce même mode de fonctionnement sans aboutir in fine aux mêmes résultats. Et c'est là que se creuse le hiatus avec son électorat, avec sa base militante : à force d'importer à chacun de ses niveaux les concurrences, les frictions, les blocages inhérents à une société conduite par les lois du marché, le PS se trouve en apesanteur à la fois électorale et militante : il n'est plus qu'un appareil de sélection du produit le meilleur sur le marché, de l'image la plus adaptée à l'esthétique dominante, des transformations sociales les plus consensuelles, donc inoffensives. Il a fait un pas vers les verroteries qui miroitaient au cou de ses adversaires... et son objectif s'est perdu dans les sables du marketing politique.

Le maître-mot du socialisme doit être "collectif". Si nous voulons faire société, commençons par être celle pour laquelle nous sommes prêts à nous battre. C'est possible à chaque niveau, à chaque strate de notre organisation. Nos combats idéologiques doivent pouvoir se résoudre par le débat politique, et non dans l'anathème, le mensonge ou l'épuration. La "personnalisation" du pouvoir doit être laissée aux bonapartistes nostalgiques et aux media paresseux et simplificateurs : c'est de directions collégiales que nous avons besoin, pour affermir nos orientations et nos décisions. "Personne n'est plus intelligent que tout le monde", résumait pertinemment Michel Rocard.

Les socialistes veulent un parti vivant comme un organisme, mobile, auto-régulateur, harmonieux. Ni une milice militaire, ni un phalanstère de "bisousnours", comme le raillent parfois nos convertis à la verroterie ; un parti où la régulation des excès se fait dans le débat et la transparence, par l'information plutôt que dans l'opacité, les arrangements entre amis, les coups de Jarnac, ce fameux "pragmatisme" qui n'est que l'autre nom du cynisme. Ce parti, cette société d'équilibre sont désormais un objectif accessible, mais les drogués à la distribution de colifichets et aux privilèges ne se rendront pas sans douleurs. La désintoxication prendra du temps...

Commençons donc par engager cette révolution là, interne, pacifique, mais sans faiblesse. Construisons cette "unité du parti" en prouvant le mouvement par la marche : puisqu'il faut en finir avec les "archaïsmes de la vieille gauche", montrons, par un véritable partage des tâches et du pouvoir, comment bâtir cette nouvelle unité : collectivement !