C'est
une des victoires inavouables du marketing – ou une des défaites
honteuses de l'intelligence, selon qu'on se situe du côté du
producteur ou du consommateur : "On peut garder le nom quand la
chose a été secrètement changée (de la bière, du bœuf, un
philosophe). On peut aussi bien changer le nom quand la chose a été
secrètement continuée."*
Un
changement d'emballage, et hop ! les petits biscuits dont personne ne
voulait s'arrachent désormais dans les supermarchés. Un fournisseur
ne peut plus livrer l'arôme synthétique à un prix satisfaisant ?
On change l'arôme et la formule du soda, pourvu qu'il reste
compétitif... et puisse bénéficier de la notoriété de la marque
!
Cela se
pratique tous les jours. Un vin gardera son étiquette malgré un
transvasement depuis les fûts de chênes vers des cuves en alu
remplies de copeaux de bois. Cela se pratique partout. Y compris
ailleurs que dans l'industrie agro-alimentaire : un livre, un disque
vont changer de couverture, de pochette, pour faire croire à la
nouveauté. Un essai sera réédité avec quelques changements dans
les courbes statistiques, que les faits avaient eu la mauvaise idée
de démentir. On changera ici la forme d'une voiture qu'on appellera
néanmoins "DS", là le nom d'une ville anglaise devenue
trop radioactive... Et ça marchera aussi en politique !
L'UMP va
changer de nom, tout en demeurant l'UMP, bien sûr. Mais promis, ce
sera un "nouveau" parti. On pourra également pratiquer la
manipulation inverse : le Parti Socialiste va conserver son nom...
mais que lui restera-t-il de "socialiste" ? À voir
l'empressement de certains à avaliser les choix économiques des
"experts" de Bruxelles, on est en droit de s'interroger :
le libéralisme serait-il devenu l'horizon indépassable du
socialisme ? Ou bien les mots auraient-ils perdu leur sens ? Encore
une défaite de l'intelligence... ou une victoire de la classe
dirigeante, selon qu'on sera simple citoyen ou membre de
l'aristocratie.
C'est
ainsi, il faut vivre avec son temps : le libéralisme, ce n'est plus
"la liberté du renard dans le poulailler" ! Et même, les
renards, ces temps derniers, se seraient mis à tellement aimer les
poules qu'ils en feraient eux-même l'élevage ! Ils ont annoncé,
assez solennellement, qu'ils ne voulaient que leur bien, à ces
dociles volatiles... Les belettes-journalistes ont l'air d'y croire.
Les blaireaux-économistes et les loups-financiers aussi. Les
poules-salariées finiront bien par se laisser convaincre !
Alors
bien sûr, on pourrait se laisser prendre au nouvel emballage des
petits biscuits. On distinguerait à peine un goût légèrement
différent dans notre soda préféré. On constaterait plus aisément
un "je-ne-sais-quoi" dans les tanins d'un certain
bordeaux... Et il serait impossible de ne pas entendre que le dernier
Polnareff n'est qu'un simple copié-collé du précédent.
Mais qui
pourra croire qu'un parti qui a renoncé à changer le monde pour
mieux accompagner sa pente naturelle ; qu'un parti qui devait
défendre les droits des plus faibles, des plus modestes, et va
distribuer l'argent public aux actionnaires, "gavés comme
jamais" ; que des élus, issus d'un parti de gauche, mais qui
poursuivent les orientations politiques d'un Giscard et parfois même
d'un Pompidou ; qui pourra croire qu'il leur reste quoi que ce soit
de "socialiste" ?
Il est
devenu tellement rentable de garder le nom quand la chose a été
secrètement changée ! Et qui aura encore assez de discernement pour
remarquer le subterfuge ?
*
"Commentaires sur la société du spectacle" Guy Debord
(Gallimard)