mardi 15 décembre 2015

Révolution : mode d'emploi


Deux choses à faire pour révolutionner le monde et entrer dans un nouveau siècle des Lumières : d'abord se changer soi-même. Ensuite changer l'organisation sociale ; les deux sont liés et bien plus faciles à transformer qu'on le pense.
 
Pour se changer soi-même, il suffit (oui, il suffit !) de cesser de désirer ce qu'on nous montre : il n'existe aucun paradis, aucun politicien, aucune marchandise qui puissent nous rendre heureux. Nous pouvons nous faciliter la vie avec une nouvelle perceuse, nous sentir plus puissant au volant d'une  voiture neuve, mais ça ne nous conduira qu'à un semblant de bonheur : comme la marchandise est une drogue et la consommation une addiction créée par le dogme de la croissance, il nous faudrait sans cesse augmenter la dose et notre course finirait dans un platane, le surendettement ou la dépression.
 
Quelques instants de réflexion suffisent, en général, pour s'apercevoir qu'on n'a pas vraiment besoin de cette chose qu'on veut nous faire acheter. Attention, il n'est pas ici question, comme le prônent les bouddhistes, de museler tout désir pour atteindre le Nirvâna, mais seulement de rompre avec le fétichisme de la marchandise : le monde s'en trouve à jamais changé. Nous ne sommes plus hypnotisés par les publicités, nous prenons du recul par rapport aux histoires que racontent les media, nous regardons à deux fois le programme d'un politicien avant de lui accorder notre suffrage.... nous nous demandons même pourquoi il le réclame ! Et notre conscience répond : "ceux qui recherchent le pouvoir sont inaptes à l'exercer".

Voilà, vous n'êtes plus esclave de vos désirs - qui d'ailleurs ne sont pas les vôtres mais ceux qui, depuis l'enfance, vous ont été imposés par la convergence médiatique -  vous êtes désormais maître de vos choix ; La Boétie l'avait établi dès le XVIe siècle (Discours sur la servitude volontaire) : "Soyez résolu de ne plus servir, vous voilà libre." Pourquoi croyez-vous qu'on n'étudie pas La Boétie à l'école ?
 
La seconde chose à faire, pas plus compliquée même si elle prend un peu plus de temps (la résistance est évidemment plus forte) : en finir avec le vote, l'élection, le choix des maîtres, la démocratie "représentative".
 
Soyons clairs : il est ici question de réaffirmer, de continuer, d'approfondir l'instauration de la Démocratie, afin de parvenir à une véritable gouvernance du peuple ; mais qu'est-ce que le peuple ? C'est "l'ensemble des citoyens sur lesquels s'exerce le pouvoir de quelques uns" (Michel Onfray). 
Aristote avait déjà remarqué (Politéia, livre IV) que "l'élection conduit à l'oligarchie", c'est à dire au pouvoir de quelques privilégiés, ceux qui ont le luxe du temps, puisque la sagesse populaire a depuis longtemps compris que "le temps c'est de l'argent".
 
Reprendre le pouvoir des mains de ceux qui l'ont confisqué pour leur propre jouissance, voilà le vrai sens du mot "démocratie". Pourquoi le faut-il ? Pour résoudre dans le consensus les problèmes posés à la société sans en créer de plus compliqués. Pourquoi devons-nous nous en occuper nous-mêmes ? Parce que tout citoyen est le meilleur juge de ce qui est bon pour lui. "En ce qui concerne la prise des décisions, chaque adulte est le seul à même de juger de son intérêt propre" (Robert Dahl). Comment allons-nous libérer le temps nécessaire à notre propre gouvernance ? Nous allons "travailler moins, pour gouverner tous" grâce à l'instauration d'un "revenu inconditionnel". Pourquoi ne pas laisser la gouvernance aux professionnels de la politique ? Parce qu'ils sont devenus un frein au progrès de nos sociétés, un boulet aux chevilles de nos libertés, une caste aristocratique empêchant toute émancipation du simple citoyen, afin de conserver et d'accroître leurs privilèges : pour pouvoir améliorer la vie des gens, il faudrait d'abord savoir comment les gens vivent.
 
Désormais, plutôt que nous lancer dans des campagnes électorales coûteuses, polluantes et mensongères, nous nous inscrirons sur un vivier au sein duquel seront tirées au sort, pour un temps donné, les diverses assemblées chargées de résoudre les problèmes réels du pays. Au lieu d'une "Assemblée nationale" qui ne représente absolument pas les citoyens, c'est la "Nation assemblée" qui gouvernera. En cas de grosse difficulté, le référendum.
 
Quelle meilleure démocratie ? Pas de cumuls possibles, pas de corruption, une représentation au plus près, un impôt juste et ciblé, une gestion contrôlée des finances publiques, une économie au service des besoins, une justice équitable, une police républicaine, une éducation tirée vers le haut... Bref, le gouvernement du peuple par le peuple : "LA" Démocratie.
 
Comme le disait Churchill "C'est le pire système qui soit, à l'exception de tous les autres".

mardi 17 novembre 2015

"ON NE VOUS ENTEND PAS !"


Mais bordel, où êtes-vous ?! 
On ne vous voit pas sur les écrans, excepté Facebook, on ne vous entend pas sur les radios, vous êtes absents des grandes manifestations ou alors, quand vous y êtes, vous n'osez pas prendre la parole, lancer les slogans, et c'est pire...
Ne me dites pas que vous n'avez rien à dire, ni que "ça ne vous concerne pas": ça VOUS concerne, vous d'abord, au premier chef ! 
Mais vous restez silencieux, vous laissez les ondes être envahies par les lénifiants discours œcuméniques, judéo-chrétiens, moralisateurs, gentiment catholiques, ou protestants bien-pensants, ou musulmans modérés...
VOUS ÊTES OÙ, LES ATHÉES ?!
Oui, vous les rationalistes qui vivez ce monde depuis peu ou depuis toujours sans aucun autre secours spirituel que celui de votre raison, de votre curiosité, de vos connaissances, de votre culture ? 
Vous qui n'avez jamais eu besoin de vous référer à des livres de contes pour comprendre le réel. 
Vous qui savez bien que les religions sont des outils de pouvoir destinés à maintenir l'humanité courbée sous la férule des dominants ? 
Vous pour qui le monde est un enchantement sans enchanteur, sinon les lois de la physique, que vous enseignez, questionnez ou diffusez quotidiennement ? 
Vous qui répondez aux croyants (comme jadis Laplace à Napoléon lui demandant pourquoi son traité de cosmologie ne mentionnait pas Dieu) : "je n'ai pas eu besoin de cette hypothèse".
Vous, les historiens courageux qui n'ignorez plus que tous les prophètes sont de faux prophètes, des amalgames, des inventions, des mélanges de personnages légendaires et d'événements incertains ? Ni Noé, ni Moïse, ni Jésus, ni Mahomet, aucun n'a jamais laissé une trace de son prétendu passage sur terre : ni traité signé, ni document ratifié, ni stèle martelée...
Vous les psychologues qui à la suite de Freud, avez compris que le besoin d'un père ne disparaît pas avec l'enfance et que dans la douleur ou l'affliction, le petit enfant refait toujours surface et réclame d'être consolé, conforté, rassuré ?
OÙ ÊTES-VOUS, ON NE VOUS ENTEND PAS ?!
Parce que si vous continuez à vous taire, comme toute bonne majorité silencieuse, celle qui en Allemagne n'a pas osé se lever contre les S.A. quand ils n'étaient qu'une poignée, celle qui a laissé les bolcheviks gangréner toute la pensée russe jusqu'à la recherche scientifique, celle qui laisse aujourd'hui prospérer les obscurantistes de toutes obédiences et qui finalement croit que les religions se détruiront en se faisant la guerre, alors que VOUS êtes leur principal adversaire ; ne vous étonnez pas si un jour un ministre de l'éducation, dans votre République, vous dit que la laïcité n'interdit pas l'enseignement des religions ; que la pensée scientifique n'est pas supérieure à la croyance religieuse ; et que toute croyance irrationnelle est finalement respectable...
Parce que c'est vous, par votre silence, par votre lâche conformisme ou la simple peur d'être ridicule, c'est vous qui porterez la responsabilité de ce qui est sur le point de nous arriver : un saut de quinze siècles en arrière, et des bûchers où vos filles seront brûlées vives !

vendredi 26 juin 2015

Rien qu'un système de domination


N'est-il pas étrange que de tous les animaux du règne, l'humain soit le seul à ne point s'accorder sur son organisation sociale ? De la panthère à la fourmi, les individus suivent l'expression de leur gènes, et s'intègrent à la loi commune : je subsiste, je reproduis mon espèce, je laisse la place.

C'est, dira-t-on, que l'animal est gouverné par sa nature, et l'humain par sa culture. On ne regimbe pas entre fourmis : on se soumet ou on se fait démettre. Entre humains, la multiplicité des climats, des paysages, des modes de vie, viennent interférer avec la Loi naturelle : on ne s'organisera pas de la même façon selon que la subsistance sera rare ou abondante ; selon que les possibilités d'accouplement seront multiples ou exceptionnelles, selon que la conservation d'un aîné sera avantageuse ou parasitaire. Les humains répondent eux aussi à leur environnement.

Quand l'environnement se standardise, soudain, tout change : l'humain peut décider, choisir comment il se gouverne. Et comme il n'est écrit nulle part comment il doit vivre, s'organiser, optimiser son existence, dans le doute, s'instaure alors le retour à la loi naturelle : l'espèce rejoint son phylum et s'engage dans la lutte pour la "domination". Qu'est-ce que "dominer"? C'est garantir sa subsistance par l'abondance, protéger sa descendance au-delà d'une génération, rester nécessaire le plus longtemps possible, y compris après sa mort... 
Dominer, c'est avoir plus. Plus de biens, plus de droits, plus de temps.

Notons que rien n'oblige un groupe, une société, une civilisation, à retourner ainsi à l'état de nature où un mâle dominant mangera avant les autres, couvrira toutes les femelles, laissera son exemple à la postérité. Il est même possible d'envisager une société de membres égaux, solidaires, collaboratifs, formant un véritable "tissu" social. Mais l'Animal en nous n'est pas mort et nous ne sommes pas encore prêts à nous délester de son expérience multiséculaire. Alors nous nous soumettons aux règles de la domination.

Ici, ce sera la loi du plus fort ; là, la loi du plus vertueux, ailleurs la loi du plus beau ou  du plus riche. 
On ne trouve encore nulle part la loi du plus serviable, du plus empathique, du plus pédagogue ou du plus inventif... Parce que nous ne sommes pas encore sevrés des vieux systèmes de domination, qu'ils soient militaires, religieux ou économiques. Nous n'avons pas encore de "morale de la liberté".

L'alliance récente de la domination politique (ceux qui veulent le pouvoir sur les autres) et de la domination économique (ceux qui veulent se distinguer des autres) tente même de confisquer l'intégralité des richesses, des espaces, des libertés et des savoirs pour asservir définitivement celles et ceux qui lui contesteraient le droit de décider pour tous.

Parce que, tout comme les religions, l'économie monétaire ou la politique n'ont aucune justification intrinsèque à dominer l'ensemble des humains ! C'est la simple répétition, dès l'apprentissage du monde pendant l'enfance, qui persuade les individus de s'y soumettre, tout comme auparavant l'idée de "Dieu" soutenait la domination par la naissance.
"Soyez résolus de ne plus servir, vous voilà libre" disait avec raison La Boétie.

L'économie monétaire même, dont on nous rabâche qu'elle est notre unique raison d'exister (alors que "la seule raison d'être d'un être, c'est d'être " selon le biologiste Henri Laborit) n'est au plus qu'une scène de théâtre destinée à fasciner les spectateurs : des gens qui veulent dominer, se distinguer parmi la multitude, on pris possession des modes de communication et nous assomment de mensonges afin de faire perdurer leurs privilèges. Comme les seigneurs féodaux, comme les membres du clergé, comme les "représentants de la nation", ils nous servent encore et toujours le même couplet :
"Faites-moi confiance, obéissez-moi, je m'occupe au mieux de votre intérêt !"

Mais l'espèce humaine a toujours été une espèce sauvage, elle ne sera pas domestiquée. Et depuis quand quelqu'un saurait-il mieux que moi quel est mon intérêt, et comment le défendre ?

dimanche 7 juin 2015

Qui a besoin de "dirigeants" ?



Si on inverse la citation majeure de Clausewitz, on obtient une phrase qu'Henri Laborit (Vendéen !) aurait probablement pu signer : "La politique, c'est la continuation de la guerre par d'autres moyens".
Voilà de quoi interroger sur la nécessité pour une nation d'élire des dirigeants politiques...
Leur incapacité à conclure des diagnostics pertinents, leur impossibilité à imaginer des réformes efficaces – et consensuelles puisqu'efficaces – leur propension a tenir des discours creux et emphatiques, à se faire élire sur des programmes qu'ils ne mettent pas en œuvre, à voter des lois inutiles ou inapplicables, à truster les postes de décision, à décider de comment nous devons vivre sans tenir compte de notre avis, à profiter largement des richesses que nous produisons, à ne jamais résoudre durablement quel que problème que ce soit... Tout cela n'en ferait-il pas plutôt de simples parasites de notre organisation sociale ?
La question mérite réflexion : je n'ai jamais entendu quiconque dire que tel politique avait changé son existence pour le mieux. L'exact contraire est beaucoup plus fréquent. On objectera quelques illustres exemples, rapidement réfutés : Charles de Gaulle était un militaire ; dès qu'il s'est mué en homme politique, il a pris des décisions catastrophiques, et ruineuses. Il a de plus réintroduit la monarchie dans la République ! Mitterrand a pu faire croire pendant deux ans et demi que le peuple commandait à son destin – si on excepte l'abolition de la peine de mort – avant de remettre les clefs de l'avenir aux seuls banques et chefs d'entreprises.
Y a-t-il un seul dirigeant politique qui ait réussi à "changer" quoique ce soit dans notre vie que nous n'aurions pas pu changer nous-même ?
En réalité, ceux qui se présentent comme l'avant-garde éclairée, les élites faites pour conduire le peuple, sont pour la plus grande part suivistes de l'évolution des mœurs, spectateurs du mouvement social, analystes des courbes statistiques, qu'ils traduisent par des tendances et des programmes dans le seul but d'assouvir leur propre soif de domination.
Cela peut sembler incroyable, mais il n'existe aucune autre justification à vouloir entrer dans la compétition politique que l'ambition personnelle.
Bien sûr, dit comme cela, ça peut paraître un peu sec, voire violent : on n'annonce pas tout de go à une personne qu'on veut séduire "mes hormones me poussent à vouloir procréer" sans prendre un risque certain. D'où la poésie et les discours politiques... Ceux-ci disent généralement la même chose : "je veux vous faire du bien !" 
Mais a-t-on vraiment besoin de signer un chèque en blanc à un inconnu pour espérer vivre bien ?
"Je n'ai jamais cru que rien dans le monde avait été fait dans l'intention précise de me faire plaisir. Les caves, pour dire le vrai, raisonnent toujours à l'inverse*". 
Serions-nous donc des caves, nous qui croyons que remettre nos libertés, nos destins et nos vies dans les mains de riches diplômés nous permettra d'accéder à un quelconque salut ?
Nous sommes désormais parvenus à des niveaux de connaissances, de communication, d'échanges tels que nous pouvons décider collectivement, sans avoir besoin de déléguer à d'autres qu'à notre appareil administratif, nos propres décisions. 
Qui commandera cet appareil ?
Nous-mêmes directement par le vote, éclairés par des débats organisés régulièrement, localement, par des conseils élus pour l'occasion, ou pas forcément élus : on tirait bien 12 jurés au sort pour savoir si un accusé devait vivre ou mourir, en cour d'assises ! L'Athènes de Périclès, à laquelle nous devons tant, fonctionnait par tirage au sort.
Il est grand temps de réformer notre fonctionnement collectif vers plus de transparence, d'efficacité et de responsabilité. Votons non plus pour des "représentants", qui nous représentent rarement, souvent nous mentent, parfois nous volent, mais pour des lois, des règlements et des normes : décidons de notre destinée.
Et pour représenter l'ensemble des citoyens, l'État, dans les débats internationaux ou régionaux, nous  délèguerons, selon les sujets abordés, tel ou telle de nos hommes ou femmes révérés, jugés compétents et désignés par la population concernée.
La Belgique, état moderne, a pu fonctionner entre juin 2010 et décembre 2011 pendant 541 jours sans autre forme de gouvernement que son appareil administratif ! Ironiquement, c'est justement à l'Université Nouvelle de Bruxelles que fut prononcée, en octobre 1895, époque où les socialistes comptaient en leurs rangs plus de penseurs que d'ambitieux, cette phrase célèbre : "l'anarchie est la plus haute expression de l'ordre", prononcée par un simple professeur de géographie, Élisée Reclus.
Puisse-t-il être bientôt possible de lui donner raison !



* "Cette mauvaise réputation..."  Guy Debord  (Gallimard)

dimanche 24 mai 2015

Renverser la pyramide


Les partis sont en crise. Les dirigeants croient régler ces crises par le vote des adhérents. Ici un congrès d'orientation, là un changement de nom, bientôt des primaires pour tous... ou pour personne. 
Et ça calme, au moins pour un temps, les démangeaisons. Mais quand les crises reviennent comme les saisons et les moustiques, il faut s'interroger plus en profondeur : les dysfonctionnements ne viendraient-ils pas d'une inadéquation entre le fonctionnement interne et les aspirations extérieures ? Les évolutions de la société ont-elles été suffisamment prises en compte dans le discours et l'organisation du parti ? Donc,  question : à quoi sert un parti politique ?

Fondamentalement, un parti doit protéger les intérêts de son électorat en lui proposant un modèle de société dans lequel il puisse se reconnaitre. Il en est d'ailleurs l'émanation directe : le parti socialiste se compose de militants aspirant à une société de justice sociale, opposés à la seule loi du "libre marché" que défend l'électorat de droite – qui lui aussi défend ses intérêts.

Mais pour rester en accord à la fois avec son électorat et avec ses objectifs, un parti (disons le PS, pour faire court) doit d'abord s'appliquer ce qu'il prétend imposer aux autres : il doit être lui-même la vitrine de la société qu'il propose. Les partis de droite, pyramidaux, libéraux, martiaux, ne font pas autre chose : ils veulent une société qui fonctionne comme une entreprise et des entreprises qui fonctionnent comme des moteurs ; ils ont donc intégré ces modèles à leur propre organisation : pyramidale.

Le PS ne peut évidemment reprendre ce même mode de fonctionnement sans aboutir in fine aux mêmes résultats. Et c'est là que se creuse le hiatus avec son électorat, avec sa base militante : à force d'importer à chacun de ses niveaux les concurrences, les frictions, les blocages inhérents à une société conduite par les lois du marché, le PS se trouve en apesanteur à la fois électorale et militante : il n'est plus qu'un appareil de sélection du produit le meilleur sur le marché, de l'image la plus adaptée à l'esthétique dominante, des transformations sociales les plus consensuelles, donc inoffensives. Il a fait un pas vers les verroteries qui miroitaient au cou de ses adversaires... et son objectif s'est perdu dans les sables du marketing politique.

Le maître-mot du socialisme doit être "collectif". Si nous voulons faire société, commençons par être celle pour laquelle nous sommes prêts à nous battre. C'est possible à chaque niveau, à chaque strate de notre organisation. Nos combats idéologiques doivent pouvoir se résoudre par le débat politique, et non dans l'anathème, le mensonge ou l'épuration. La "personnalisation" du pouvoir doit être laissée aux bonapartistes nostalgiques et aux media paresseux et simplificateurs : c'est de directions collégiales que nous avons besoin, pour affermir nos orientations et nos décisions. "Personne n'est plus intelligent que tout le monde", résumait pertinemment Michel Rocard.

Les socialistes veulent un parti vivant comme un organisme, mobile, auto-régulateur, harmonieux. Ni une milice militaire, ni un phalanstère de "bisousnours", comme le raillent parfois nos convertis à la verroterie ; un parti où la régulation des excès se fait dans le débat et la transparence, par l'information plutôt que dans l'opacité, les arrangements entre amis, les coups de Jarnac, ce fameux "pragmatisme" qui n'est que l'autre nom du cynisme. Ce parti, cette société d'équilibre sont désormais un objectif accessible, mais les drogués à la distribution de colifichets et aux privilèges ne se rendront pas sans douleurs. La désintoxication prendra du temps...

Commençons donc par engager cette révolution là, interne, pacifique, mais sans faiblesse. Construisons cette "unité du parti" en prouvant le mouvement par la marche : puisqu'il faut en finir avec les "archaïsmes de la vieille gauche", montrons, par un véritable partage des tâches et du pouvoir, comment bâtir cette nouvelle unité : collectivement !


vendredi 24 avril 2015

"Ceci n'est pas du libéralisme !"

C'est une des victoires inavouables du marketing – ou une des défaites honteuses de l'intelligence, selon qu'on se situe du côté du producteur ou du consommateur : "On peut garder le nom quand la chose a été secrètement changée (de la bière, du bœuf, un philosophe). On peut aussi bien changer le nom quand la chose a été secrètement continuée."*



Un changement d'emballage, et hop ! les petits biscuits dont personne ne voulait s'arrachent désormais dans les supermarchés. Un fournisseur ne peut plus livrer l'arôme synthétique à un prix satisfaisant ? On change l'arôme et la formule du soda, pourvu qu'il reste compétitif... et puisse bénéficier de la notoriété de la marque !


Cela se pratique tous les jours. Un vin gardera son étiquette malgré un transvasement depuis les fûts de chênes vers des cuves en alu remplies de copeaux de bois. Cela se pratique partout. Y compris ailleurs que dans l'industrie agro-alimentaire : un livre, un disque vont changer de couverture, de pochette, pour faire croire à la nouveauté. Un essai sera réédité avec quelques changements dans les courbes statistiques, que les faits avaient eu la mauvaise idée de démentir. On changera ici la forme d'une voiture qu'on appellera néanmoins "DS", là le nom d'une ville anglaise devenue trop radioactive... Et ça marchera aussi en politique ! 


L'UMP va changer de nom, tout en demeurant l'UMP, bien sûr. Mais promis, ce sera un "nouveau" parti. On pourra également pratiquer la manipulation inverse : le Parti Socialiste va conserver son nom... mais que lui restera-t-il de "socialiste" ? À voir l'empressement de certains à avaliser les choix économiques des "experts" de Bruxelles, on est en droit de s'interroger : le libéralisme serait-il devenu l'horizon indépassable du socialisme ? Ou bien les mots auraient-ils perdu leur sens ? Encore une défaite de l'intelligence... ou une victoire de la classe dirigeante, selon qu'on sera simple citoyen ou membre de l'aristocratie.


C'est ainsi, il faut vivre avec son temps : le libéralisme, ce n'est plus "la liberté du renard dans le poulailler" ! Et même, les renards, ces temps derniers, se seraient mis à tellement aimer les poules qu'ils en feraient eux-même l'élevage ! Ils ont annoncé, assez solennellement, qu'ils ne voulaient que leur bien, à ces dociles volatiles... Les belettes-journalistes ont l'air d'y croire. Les blaireaux-économistes et les loups-financiers aussi. Les poules-salariées finiront bien par se laisser convaincre !


Alors bien sûr, on pourrait se laisser prendre au nouvel emballage des petits biscuits. On distinguerait à peine un goût légèrement différent dans notre soda préféré. On constaterait plus aisément un "je-ne-sais-quoi" dans les tanins d'un certain bordeaux... Et il serait impossible de ne pas entendre que le dernier Polnareff n'est qu'un simple copié-collé du précédent.


Mais qui pourra croire qu'un parti qui a renoncé à changer le monde pour mieux accompagner sa pente naturelle ; qu'un parti qui devait défendre les droits des plus faibles, des plus modestes, et va distribuer l'argent public aux actionnaires, "gavés comme jamais" ; que des élus, issus d'un parti de gauche, mais qui poursuivent les orientations politiques d'un Giscard et parfois même d'un Pompidou ; qui pourra croire qu'il leur reste quoi que ce soit de "socialiste" ?


Il est devenu tellement rentable de garder le nom quand la chose a été secrètement changée ! Et qui aura encore assez de discernement pour remarquer le subterfuge ?






* "Commentaires sur la société du spectacle" Guy Debord (Gallimard)

mardi 14 avril 2015

"Le chef a toujours raison !"


Où l'on constatera que l'archaïque n'est pas celui qu'on croit.
C'est Manuel Valls qui avait lancé ce mot pour dénigrer les "éclaireurs" socialistes, selon le principe "celui qui le dit, c'est celui qui y est", qui fleure bon sa cour de récréation. 
Creusons un peu le concept :
Il serait archaïque de se souvenir d'où l'on vient ? De vouloir conserver aux mots leur signification ? De tirer les leçons du passé pour ne pas en reproduire les échecs ?
Sûrement pas. 
Ce qui serait archaïque, c'est de vouloir, par exemple, rétablir pour nos enfants le monde du travail tel qu'il était au 19e siècle selon les principes, disons "libéraux", qu'un Adam Smith avait établis un siècle avant : peu ou pas de protection sociale, toute puissance du patronat, égoïsme comme moteur du progrès.
Et surtout, surtout, "la morale chrétienne" comme ciment social : charité pour les pauvres, crainte de Dieu et primes au mérite pour les autres.
J'ai eu beau chercher, je n'ai rien trouvé de tel chez les "éclaireurs".
Alors que paradoxalement nombre de déclarations de Manuel Valls et de ses ministres semblent, elles, aller dans ce sens : les salariés seraient "trop protégés", il faudrait des "formations théologiques" à l'université, les jeunes français devraient "souhaiter devenir milliardaires"... 

C'est ici que, personnellement, je vois poindre l'archaïsme : un certain retour à la vieille pensée bourgeoise de Guizot ("enrichissez-vous !") ou de Thiers ("un peuple instruit est ingouvernable."). Ces deux là feraient passer Jaurès et Guesde pour les frères Bogdanov !

Être socialiste, je le rappelle, c'est ne pas se satisfaire du monde tel qu'il va. 
Mais qui sait où va le monde ? Personne !

La droite nous serine qu'il va vers l'horizon radieux de l'économie libérale mondialisée. Et donc qu'il faut le plus vite possible adapter notre pays aux structures imposées par l'avenir : dérégulation économique et financière, compression des salaires, protection sociale individuelle. C'est là sa façon de ne pas faire de politique : expliquer que l'avenir est déjà écrit, qu'il n'y a donc "qu'une seule politique possible" (bullshit : tout bon philosophe sait qu'il n'existe pas de "causes finales" !).

À gauche, on a toujours pensé l'exact contraire : l'avenir dépendant de forces sociales en mouvement, il faut déterminer démocratiquement vers quelle société nous voulons aller et nous donner les moyens, par les orientations politiques, par les lois et les règlements, par la puissance collective de l'État, d'y parvenir. Il s'agit bien de fixer un cap et de manœuvrer pour l'atteindre, de travailler à construire un avenir partagé. Il y a mille caps, donc mille politiques possibles.

Mais nos démocraties, momentanément hypnotisées par l'opulence d'une néo-noblesse, ont divinisé quelques oligarques qui déterminent désormais seuls la direction à prendre : celle de la fortune, de leurs intérêts privés, disons de leurs "privilèges" : il n'y a plus d'intérêt général puisque les media ont cessé d'en parler !

Alors quand des socialistes se souviennent qu'ils sont de gauche, qu'il leur incombe de revitaliser la démocratie comateuse contre "l'économie parvenue à un statut de souveraineté irresponsable", contre les privilèges éhontés de quelques ploutocrates, contre la pensée unique distillée par les Diafoirus de l'économie, ce serait leur faire un bien mauvais procès que de les traiter d'archaïques : ce n'est pas eux qui souhaitent bâtir un avenir sorti du formol rétro-futuriste à la Jules Vernes !

Moralité :
Quand les éclaireurs montrent la lune socialiste, les socio-libéraux regardent le doigt qui compte les billets.

mardi 7 avril 2015

Les religions, ces ennemies de la République


Il existe une ligne au delà de laquelle, magiquement, le monde réel n'existe plus qu'à moitié. 
Une ligne qui sépare dramatiquement les humains en deux catégories. Cette ligne se trouve partout dans le monde et tout ceux qui souhaitent, pour des raisons qui leurs sont propres, nier tout ou partie du monde réel savent où la trouver et comment la franchir.
En deçà de cette ligne,  les groupes sociaux, le monde, l'univers, sont régis par des lois explicites, pas forcément toutes clairement formulées, mais accessibles à l'intelligence et à la logique. De ce côté de la ligne, "l'intermonde" – pour parler comme Sartre – y est commun, partagé : un fait a des causes et des conséquences manifestes, mesurables, compréhensibles. Tout le monde peut s'en saisir, en débattre, tenter de les préciser ou de les réfuter. Rien, de ce côté, n'est inaccessible à notre faculté de compréhension. Et la meilleure preuve en est que nous avons réussi à découvrir et à interpréter des principes extrêmement subtils, des objets extrêmement ténus, invisibles, à la limite de l'existence sensible, et que nous sommes parvenus à insérer ces objets, ces principes, dans notre compréhension du monde, à leur trouver une place dans le grand livre de la connaissance sans qu'il s'écroule. 
Mais, au-delà de cette ligne, tout devient incertain et flou. Une chose y est possible et aussi son contraire. Les faits ont des causes cachées, inconnues ou différentes selon les témoins, et peuvent déclencher des conséquences qu'il ne nous appartiendra jamais de comprendre. 
Cet au-delà de la ligne est le refuge de celles et ceux qui veulent ne jamais se tromper, faute d'admettre la possibilité de l'incertitude, ou pire, de l'absurdité : au-delà de cette ligne, tout ce qu'ils croient peut devenir vrai. Mais également, tout ce qui est vrai peut devenir faux, puisque tous ne disposent pas des mêmes modalité d'explication.
C'est évidemment de la ligne virtuelle créée par la foi dont je veux parler.
Cette ligne est une rémanence, un écho du monde de l'enfance, que les expériences de l'âge adulte n'ont pas été capables d'abolir : des terreurs nocturnes, un déficit de connaissances, une loyauté excessive au modèle familial, une affectivité fragilisée, une curiosité réduite, il existe un grand nombre de facteurs déclencheurs à cette persistance des fantômes, des anges et des monstres de l'enfance !
Ce qui est dramatique avec cette ligne, c'est qu'elle rend ceux qui la franchissent inaccessibles au "principe de réalité" et donc à un monde partagé : elle place en effet une partie de l'univers à l'abri de toute rationalité, de toute explication, de tout savoir. Un drame atroce ? "Dieu l'a voulu". Une injustice abominable ? "Les voies du seigneur sont impénétrables". Des souffrances inhumaines ? "In nomine Patris..." 
Ce monde au-delà de la ligne vit à l'abri des explications et des responsabilités : finalement, si je suis un assassin, n'y ai-je pas été poussé par une force diabolique ou au contraire pour faire le bien, conformément à la volonté inconnaissable du tout-puissant ? On se place ainsi au-delà de tout jugement, de toute condamnation. Le monde d'au-delà de la ligne est un refuge contre la connaissance humaine et contre la justice des hommes.
Deux choses sont susceptibles d'effacer cette ligne qui met en danger l'avenir de l'humanité en limitant ses progrès : l'éducation et la laïcité
L'éducation en donnant les outils conceptuels et culturels – particulièrement aux jeunes filles – permettant de quitter une fois pour toutes le nid confortable de l'enfance, et d'affronter fièrement le monde réel.
La laïcité en obligeant tout citoyen à admettre que ses croyances ne sont que des cas particuliers de la liberté de conscience générale accordée à tous par la République.
Grâce à ces deux inventions de la civilisation occidentale – et surtout de l'Europe de l'Ouest – les religions, qui ont survécu grâce à cette ligne, finiront par disparaître. C'est d'ailleurs une des missions de notre République laïque : remplacer les croyances superstitieuses par des connaissances rationnelles.
On aura bien sûr toujours le droit de croire aux forces surnaturelles qui nous conviennent, à un éventuel créateur d'univers, aux anges gardiens ; mais les clergés, les bonimenteurs qui prétendent parler au nom d'un dieu, connaître le Bien et le Mal, les organisations hiérarchiques qui s'enrichissent de la crédulité des ignorants ou des faibles d'esprit seront regardés comme des archaïsmes, des entreprises sectaires, des tentatives d'escroquerie. Et l'humanité, prenant enfin confiance en elle-même, loin des mythologies moralisatrices, s'autorisera à décider souverainement, par le débat et la controverse, dans la polémique et l'argumentation, de ce qui est "bien" et de ce qui est "mal".

mardi 24 mars 2015

Une stratégie d'exception


"Let's look at the larger picture !" comme dit Franck Underwood, stratège en chef de la série "House of cards" : et si les partis politique - le nôtre en particulier - faisaient fausse route quant à leur capacité d'améliorer la vie de leurs concitoyens ?
En bref, devons-nous vraiment viser la magistrature suprême pour permettre à nos idées de transformer le pays, voire de "changer la vie" ?..

Les élections départementales actuelles nous donnent un beau terrain d'analyse : nous allons perdre entre 15 et 20 départements. Après avoir déjà perdu 155 villes de plus de 9000 habitants en 2014...
Jusqu'à quelle défaite notre "victoire" à la présidentielle nous conduira-t-elle ? Et cette victoire de François Hollande ne signe-t-elle pas le début de la débâcle pour le Parti Socialiste ?

On a coutume de croire, sous la Ve République, que la présidentielle est la mère de toutes les élections. Ce n'est redevenu vrai que depuis la funeste inversion du calendrier par Lionel Jospin : avant, ce sont les législatives qui donnaient à la fois la parole au peuple et le "La" de la politique nationale. Et si l'élection présidentielle était en réalité le "punctum cæcum" de notre système institutionnel, l'arbre médiatique qui cache la forêt politique ?

Parce que si, à chaque fois que le Parti porte un des siens à l'Élysée, il doit le payer dans les urnes - et ô combien dans ses finances ! - d'un prix pharaonique, où donc en est l'intérêt, pour les militants, pour les citoyens, pour le pays ?
Quand, de surcroît, le candidat élu tourne le dos au programme de son parti pour mettre en œuvre simplement les orientations et directives Bruxelloises, alors on a tout perdu : moins de politiques sociales dans les villes, dans les cantons et les départements...
Et si nous perdons aussi les 3/4 des Régions, peut-être serons-nous enfin conduits au même raisonnement que John Nash — qui lui valut d'ailleurs le "prix de la Banque de Suède en science économique" (et non le Nobel).
En voici un court résumé (sexiste, certes, mais éclairant).





Ma conclusion, évidemment sujette à polémiques, est que viser l'Élysée c'est en même temps affaiblir le pays et le Parti. Ça consiste simplement à satisfaire un certain narcissisme et quelques intérêts particuliers. L'intérêt général, notamment social, est bien mieux pris en compte par les politiques locales (municipales, intercommunales, départementales), et le développement économique par les stratégies Régionales.
L'Élysée ne fait que mettre en place les politiques libérales et calamiteuses de l'Union Européenne : c'est, non pas un exécutif, mais un exécutant, une coquille dorée, prestigieuse, mais vide ! Si 2017 devait voir une nouvelle "victoire" de François Hollande, ce serait une nouvelle victoire à la Pyrrhus pour les socialistes : impuissance économique, Front National croissant, Droite à tous les étages...

Ce n'est pas tout à fait l'idée que, militant socialiste, je me fais de l'intérêt supérieur de la Nation, ni de l'intérêt général de mes concitoyens.